L’Allemagne, pionnière de la transition énergétique en Europe, a développé au fil des années une stratégie d’influence complexe pour promouvoir sa vision de l’avenir énergétique. Au cœur de cette stratégie se trouvent de nombreuses ONG et fondations qui jouent un rôle crucial dans la diffusion des idées et des politiques énergétiques allemandes, tant au niveau national qu’international. Ce phénomène soulève des questions sur la manière dont un pays peut façonner les politiques énergétiques de ses voisins et de l’Union européenne dans son ensemble.

L’émergence de l’Energiewende

L’Energiewende, ou transition énergétique allemande, trouve ses racines dans les mouvements antinucléaires des années 1970 et 1980. Ce concept, qui vise à abandonner progressivement les énergies fossiles et nucléaires au profit des énergies renouvelables, est devenu un pilier de la politique énergétique allemande. Dès 1980, l’idée d’une transition énergétique a commencé à prendre forme, trouvant un écho favorable auprès du public allemand et des partis politiques émergents comme Die Grünen.

La mise en œuvre concrète de l’Energiewende a pris un tournant décisif en 1998 avec la coalition rouge-verte dirigée par Gerhard Schröder. Deux lois majeures ont été adoptées, renforçant le soutien au développement des énergies renouvelables et programmant la sortie progressive du nucléaire. Ces décisions ont posé les bases d’une transformation profonde du paysage énergétique allemand, accélérée en 2011 suite à la catastrophe de Fukushima.

Le rôle des ONG dans la diffusion du modèle allemand

Les ONG et fondations allemandes jouent un rôle central dans la promotion et la diffusion du modèle énergétique allemand à l’étranger. Ces organisations, souvent financées en partie par le gouvernement allemand, agissent comme des vecteurs d’influence, organisant des conférences, publiant des rapports et établissant des partenariats avec des acteurs locaux dans d’autres pays européens.

La fondation Heinrich Böll, par exemple, est particulièrement active dans ce domaine. Étroitement liée au parti vert allemand, elle coordonne depuis 2016 des opérations d’influence contre le nucléaire français, finançant un large panel d’ONG-relais comme le Réseau Action Climat. Ces actions visent à façonner l’opinion publique et à influencer les décideurs politiques en faveur d’une transition énergétique inspirée du modèle allemand.

L’influence sur les politiques européennes

L’influence allemande s’est également fait sentir au niveau des institutions européennes. Plusieurs directives européennes ont été reformulées sous la pression du lobbying allemand pour maintenir des tarifs de rachat avantageux aux producteurs d’énergies renouvelables. De plus, l’Allemagne a réussi à orienter les subventions de la Banque européenne d’investissement en faveur de son modèle énergétique, excluant initialement le nucléaire du label vert de la taxonomie européenne.

Cette stratégie d’influence a permis à l’Allemagne de façonner en partie la politique énergétique européenne selon ses propres intérêts. Cependant, elle a également suscité des critiques, notamment concernant la dépendance accrue au gaz russe et les conséquences économiques et environnementales de certains choix énergétiques.

Les défis et les critiques du modèle allemand

Malgré son ambition et son influence, l’Energiewende allemande fait face à des défis importants. La Cour des comptes allemande a récemment publié plusieurs rapports critiques, soulignant les coûts élevés de la transition énergétique et ses impacts sur la compétitivité économique du pays. De plus, malgré des investissements massifs dans les énergies renouvelables, l’Allemagne reste l’un des plus gros émetteurs de CO2 par habitant en Europe.

Ces critiques mettent en lumière les limites du modèle allemand et soulèvent des questions sur sa viabilité à long terme. Elles remettent également en question la pertinence de son exportation vers d’autres pays européens, dont les contextes énergétiques et économiques peuvent être très différents.